jeudi 17 mai 2012

Aux abords du Parlement haïtien les « Militan » ont la vie dure


On les voit souvent dans le voisinage des bureaux publics et notamment aux abords du Parlement haïtien. Ces badauds qu’on appelle les « Militan » ne sont pas forcément appréciés. Ils sollicitent parlementaires et fonctionnaires dans le but de récolter quelques sous. Mais de plus en plus, leur tâche se complique tant l’accès aux élus devient limité.


 

Tel un homme d’affaires, portable et porte-document en main, Durock, 47 ans, échange avec ses camarades sur leur nouvelle journée. Cela fait 20 ans qu’il vient dans les parages du Parlement haïtien au moins trois jours par semaine avec le même objectif. « Autrefois je venais avec un contrat de loyer et des parlementaires m’aidaient à l'honorer, mais aujourd’hui c’est plus difficile » dit-il, la mine un peu déçue.


« Même pour nous aider à acheter des médicaments, ils nous font trainer », renchérit Caleb, un des plus jeunes habitués des lieux, réunis à l’ombre de la place des Nations Unies. C’est là qu’ils trouvent refuge depuis que les membres du corps législatif ont emménagé dans de nouveaux locaux provisoires au bicentenaire, une zone considérée jadis comme le joyau de Port-au-Prince.


« On est obligé de nous installer ici, le soleil ne nous permet pas de rester là- bas et en plus les agents de sécurité nous courent après », déplore Wilma, père de quatre enfants.
Le regard caché derrière ses lunettes noires, cet homme aux dread locks confie avoir une femme et quatre enfants à nourrir. « Des fois on reçoit entre deux et trois mille gourdes qu’il faut partager entre nous, ce qui nous divise de temps en temps », reconnait Durock. 

  Maculène,34 ans

Le symptôme d’une problématique globale 


Ces déshérités viennent en général des quartiers précaires de la capitale, où se trouvent une bonne partie des 77% d’Haïtiens vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Souvent ignorés par les parlementaires, certains peinent à dissimuler leur désarroi.
 « Il m’arrive parfois de rentrer à la maison sans un sou mais je n’ai pas d’autres choix que de venir ici », lâche, d’une voix triste, Maculène, 34 ans.

Contrairement aux autres, cette mère de deux enfants ne se préoccupe nullement de l’ardeur du soleil devant les grilles du Palais législatif. 
 
Pour ces gens extrêmement démunis, aller chercher de l'argent auprès des parlementaires est plus simple que de se débrouiller autrement.
  
La présence de ces badauds agace élus et fonctionnaires. « Ils sont très menaçants parfois quand on n’a pas d’argent à leur donner », révèle une jeune secrétaire du Sénat de la république, titubant sur ses talons.

La misère chasse la honte 

 Paille carotte à l'entrée du garage du Sénat haïtien

« C’est au nom de l’économie morale qu’agissent ces oisifs », tranche le sociologue Fritz Dorvilier. Selon lui, la dureté de la misère pousse les démunis à agir dans l’indignité. 

« La moralité n’est pas sans rapport avec la réalité », explique-t-il en rappelant que l'envie d'accéder à une vie meilleure fait disparaitre chez ces gens tout sentiment de gêne.

Néanmoins, il faut concéder que parmi ceux qui trainent dans l’entourage du Parlement, tout le monde ne se contente pas de tendre la main aux élus. 

A 22 ans, Caleb rêve de trouver un emploi dans l’Administration publique. « En tant que professionnel, je veux fonder un foyer et avoir des enfants mais pour cela il me faut un job », dit-il avec beaucoup de ferveur. 

Mais comme bien d'autres de ses camarades "Militan", Caleb a du mal à se souvenir de sa filière de formation. Son rêve se réalisera peut-être un jour à l’image de Williamson Exantus, alias Paille carotte. 




«J'ai trainé devant le Parlement comme les autres pendant dix ans avant d’être embauché il y a neuf mois en tant que gardien au garage du Sénat », dit fièrement ce gringalet, qui gagne un salaire mensuel de 4500 gourdes, soit 110 dollars américains.

En Haïti, pays en proie à une instabilité politique chronique, le taux de chômage avoisine les 60 % de la population active selon leProgramme des Nations Unies pour le Développement.  

                                                                    Texte, son et photos: Jean-Wickens Meroné 
                                                                                                     jwmerone6@yahoo.fr
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